En janvier, dans mon post sur les tendances branding 2025, j’ai mis le quiet luxury, que je venais de découvrir quelques temps auparavant et qui m’a tapé dans l’oeil. Clairement, une esthétique qui me parle. À ce moment-là, je le voyais partout, dans la mode, dans la déco, dans le graphisme. Mais 4 mois plus tard, je me rends compte qu’il est aussi très décrié, certains estimant qu’il a fait son temps.
Mauvaise prédiction de ma part ou juste évolution naturelle d’une tendance ? Qu’est-ce qui lui fait autant d’ombre au point qu’il pourrait disparaître ?
Le quiet luxury et ses limites
Avant de s’en prendre à lui, déjà voyons ce que c’est exactement !
Le nom de cette tendance en dit déjà long : il s’agit d’être discret, or l’univers du luxe n’est à la base pas connu pour sa discrétion. Tous les monogrammes placardés partout en sont un bel exemple, comme Louis Vuitton ou Gucci. À la base, le luxe s’affiche, alors le rendre aussi discret que seuls des initiés peuvent le reconnaître, c’est assez surprenant. Miser sur l’austérité et la sobriété en réponse à la cacophonie de l’ostentatoire est un pari. Relevé haut la main par cette tendance qui est apparue en 2023 (sur ce coup-là, j’ai un bon train de retard !) Les générations Y et Z s’en emparent, pied de nez à leurs ainés, ils misent sur un chic raffiné, qui n’affichent pas à tout va leur statut social. Ce luxe mise sur la qualité, le confort, l’intemporalité et surtout la discrétion. Il surfe sur la vague de l’authenticité et la durabilité, d’autres tendances bien connues actuellement. Elle a donc émergé dans un contexte et sur une cible, qui voulait casser les codes, loin du bling-bling et de l’exhibitionnisme.
Sauf qu’à être aussi discret, des critiques sont apparues, le renommant “boring luxury”… Trop de discrétion serait-elle la cause de sa chute ?
Des coupes intemporelles, très discrètes, sans aucun signe reconnaissable à première vue ne poussent pas à l’achat à répétition… Et le luxe aime faire parler, inspirer, alors là, à part dire que c’est très beau et très simple, ça laisse sur sa faim. On lui reproche alors rapidement d’être trop bourgeois, trop élitiste, trop bien pensant, trop sobre…
Toute tendance à une durée de vie limitée, la gloire peut être plus ou moins éphémère. Quand on mise sur autant de discrétion et que l’on parle à un public très restreint d’initiés, il est compliqué de la faire vivre longtemps…
Les détracteurs du quiet luxury
Face à lui, on a depuis quelques mois, un assaut de nouvelles tendances, qui elles font du bruit…
Le maximalisme fait son entrée dans la mode, dans la déco, dans le maquillage, dans le graphisme. Le minimalisme a lassé, place aujourd’hui à la couleur, aux formes diverses, au pep’s, à la surenchère, limite au mauvais goût. Ça se voit, ça s’affirme, ça n’a peur de rien, c’est haut en couleur. Que l’on aime ou que l’on n’aime pas, on le remarque.
Dans la même lignée, le marketing XXL fait du bruit. Des sacs géants Jacquemus qui se baladent dans les rues (il a commencé en 2023 à le faire, intéressant de voir à quel point il est précurseur), Rhode qui met des produits géants dans ses campagnes, la dernière campagne Louis Vuitton avec Zendaya en format XXL dessus, Andie Ella qui promeut son nouveau format de matcha avec une boîte faisant sa taille, etc. Là, c’est clairement s’imposer par sa grandeur, occuper l’espace, se faire remarquer, s’assurer d’attirer tous les regards et qu’on se souvienne de toi. Le complet opposé d’un marketing quiet…
Le loud luxury arrive aussi sur les podiums. Face à la discrétion ennuyante, certaines marques ont décidé de faire du bruit, comme Miu Miu, Prada, Valentino, Saint Laurent. Elles vont dans des excentricités plus ou moins imposantes, comme des mix&match, des strass, des broderies, des imprimés, de la couleur. À l’opposé du less is more, là on mixe sans vergogne des pièces fortes.
Et autre tendance qui émerge à peine : le boom boom. Une fois encore le nom en dit long ! Pense aux golden Boys des années 80, au Loup de Wallstreet et autres traders de son genre, alors tu l’as en plein dans le mille ce boom boom boy. En plein contexte de crise, la sobriété est remplacée par cet excès sans retenu. Ça a pu se voir sur les podiums, mais ça va plus loin, puisque c’est aussi un mode de consommation, où on affiche clairement qu’on a du pognon et qu’on le dépense, Rolex au poignet, cigare au bec. Quant le quiet luxury s’est avant tout contenté de la mode et de la déco, le boom boom est lui un mode de vie. C’est l’écrivain et consultant américain Sean Monahan, qui a baptisé en décembre 2024 cette tendance dans sa newsletter, reflet des années 80, prenant son origine dans un luxueux club new-yorkais, la Boom Boom Room. Ça s’inspire grandement du style “fric et frime” des années 80. Face à la montée de l’incertitude économique et politique, face à un marché du travail miné de difficultés, les générations Y et Z ont envie de rêver à ce statut qu’elles n’ont pas… (et qu’elles n’auront peut-être jamais). Alors elles s’affirment par cette consommation ostentatoire.
Alors est-ce la fin du quiet luxury ?
N’étant pas devin, je ne peux pas le savoir. Mais ce que je vois, c’est que cette extrême simplicité a fait émerger des mouvements contraires, bien plus visibles, qui font bien plus parler d’eux. Je trouve la boom boom trend super intéressante et ça m’intrigue de suivre son évolution. Car elle s’ancre dans les années 80, où tout semblait plus simple. Ça pointe à nouveau ce désir nostalgique d’une époque idéalisée.
Le problème avec les extrêmes, c’est qu’il y aura toujours l’autre extrême qui va émerger. Le quiet luxury par sa discrétion extrême ne peut parler qu’à un public restreint, comme le boom boom, alors qu’il y a tout cette masse de personnes qui a besoin de se retrouver ailleurs. Et peut-être que le problème de ces tendances, c’est qu’elles manquent de nuances pour pouvoir s’imposer réellement sur la durée et toucher un public plus large.
On peut aussi facilement picorer des deux côtés, avoir des basics discrets et une pièce originale qui attire l’attention. Et d’ailleurs, les frontières sont floues. La marque des soeurs Olsen, The Row, connue pour son extrême discrétion, le parfait exemple du quiet luxury, vend une paire de tong en caoutchouc 780 euros… C’est digne d’Havaianas… Sauf le prix. Est-ce que ça ne tombe pas justement dans cette boom boom trend ?
J’ai aussi l’impression que sur les poduims, les créateurs se sont lassés du quiet luxury, par contre, la tendance est descendue sur des marques plus “accessibles”, comme Soeur, qui a clairement pris ce tournant dans son esthétique et ses vêtements, Polène qui marche du tonnerre en misant dessus, les marques danoises Frama ou Skall, dont j’adore les univers ! C’est l’évolution normale d’une tendance, elles viennent généralement d’en haut (le luxe) pour descendre dans la rue, d’où l’importance, à mes yeux, d’avoir toujours un oeil sur l'univers du luxe.
Enfin, il est probable que la sobriété du quiet luxury ait toujours existé et qu’elle a juste été mise sous les feux des projecteurs. Son ADN est d’être intemporelle, alors peut-elle justement vraiment mourir ? Elle peut évoluer, plus ou moins attirer l’attention, mais son souhait ne serait-il pas justement de perdurer à travers le temps ?
Toutes les tendances ont des heures de gloire et des heures déchues. Elles vont et viennent, renaissent sous différents aspects. Les crises commençant sérieusement à s’ancrer sur la durée, l’ostentatoire a actuellement plus la côte, c’est un bon moyen de contester, de s’affirmer, de rêver, d’oser, de sortir du marasme ambiant. Mais d’autres mouvements finiront par arriver et prendre le dessus.
Ces tendances m’intéressant autant parce qu’elles me permettent de comprendre les mouvements de la société, et de voir à quoi ma cible est sensible. Et toi aussi tu peux te demander si ta cible, est plutôt sensible au côté voyant ou discret ?
Et pour une fois je donne quelques sources, parce qu’il y a des articles passionnants sur le sujet, que je conseille vivement de lire si tu as envie d’aller plus loin ;
Esthétique « boom boom » : le fric, c’est mégachic de l’ADN : un article qui présente cette nouvelle tendance (et me l’a fait découvrir)
Fric & Frime & Frites : Mon guide pour dîner riche de Constance Doverne : Carte Blanche est une newsletter que j’adore, Constance est journaliste et a une plume fabuleuse. Dans cette édition, elle dresse le portrait de ces personnes Boom Boom, c’est pépite (mention spéciale pour le Boom Boom Bro !)
Le « quiet luxury » bientôt remplacé par le « loud luxury » ? d’Elle : un article qui explique l’arrivée du loud luxury dans la mode
Le Quiet Luxury ou phénomène tendance qui bouscule les codes de la mode de Forbes : un article sur le quiet luxury et les enjeux derrière
« Le loud luxury c’est une réaction épidermique à trop de bien-pensance, trop de sobriété. » du Journal du luxe : une interview de Vincent Grégoire du cabinet de tendances Nelly Rodi, qui explique les différentes courants du luxe en 2024
Photos : Polène - Skall - Louis Vuitton - boutique parisenne The Row